Le Barde et la Pirate |Nuhada]

L’univers des rêves est un monde étrange. Tantôt exaltant, tantôt terrifiant, on peut y lire les pires angoisses de celui qui s’y aventure. Il n’obéit pas aux règles élémentaires de la réalité, est parfois un refuge, parfois une épreuve. « Sens » n’y a pas sa place, et certains se plaisent à s’immerger dans sa folie latente.

Les rêves sont souvent étranges, reflets distordus de cette réalité que l’on loue tant. Ils sont fascinants, incompréhensibles. Fou celui qui s’aventure à prétendre y trouver un sens. On rêve, c’est ainsi, et personne ne peut expliquer pourquoi.

Calypso rêvait peu.

Au monde des rêves, elle préférait celui des notes, et cela s’en ressentait jusque sur les chemins de son sommeil. Selon elle, peu de choses pouvaient égaler l’émouvant art de la musique.

En dépit de cela, les phases nocturnes avaient un certain effet sur elle. Plus qu’au beau milieu de la journée, quoi que cela arrivait, c’était durant la nuit qu’elle changeait d’identité, endormie ou éveillée.

« Changer d’identité » étaient de bien grands mots. Elle se contentait de basculer un peu plus d’un côté que de l’autre, dans l’attente peut-être de trouver une véritable définition d’elle-même. Son errance particulière oscillait entre le jeu et une réalité floue.

Calypso n’avait jamais été quelqu’un de très attachée au monde qui l’entoure, toujours tête en l’air, à rêver au fil du vent. Quand elle travaillait avec ses parents, au patient travail du gros bois, tels les meubles, elle préférait les gravures, ou de petites statuettes fantaisistes.

Sa douce et lente immersion dans le monde de la musique et le flou sur son identité avaient accru le décalage qu’elle ressentait avec le monde dit réel.

En résumé, ce matin-là, Calypso se réveilla Cal. Ce sont des choses qui arrivent.

Plus précisément, il se réveilla sous les frondaisons d’un pommier assez âgé, puisque grand, et chargé de fruits. Il s’était arrêté là la veille au soir, assez tard, après avoir marché plusieurs heures dans le but d’atteindre Quetaïn.

Tout en songeant qu’un jour, il finirait par tomber sur de la mauvaise compagnie, à ne pas se montrer plus prudent, il se leva doucement, s’étirant avec soin. Le coin était assez beau, doux. Apercevant une pomme à quelques centimètres de son visage, il l’attrapa avec ravissement et la mit dans sa poche. Voilà qui lui éviterait de taper dans ses réserves.

A ce propos, songea-t-il, il allait devoir penser à se trouver un peu d’argent, encore une fois. Voilà trop longtemps qu’il se contentait de marcher sans jouer pour les autres, ne faisant que se payer quelques provisions dans les villages dans lesquels il passait avant de repartir, presque sauvage dans sa solitude.

Ramassant quatre ou cinq pommes, il les fourra dans son sac, et, ses affaires sur le dos, s’éloigna un peu, afin de voir si, par hasard, il n’y aurait pas une rivière dans le coin.

Par facilité scénaristique, il en trouva une. Il en profita pour s’asperger le visage et, face à son reflet dans l’eau mouvante, rassembla ses cheveux sombres en un chignon lâche. Il enroula ensuite son foulard rouge autour de sa tête, brossa du plat de la main son manteau sali de terre.

Une fois tout ceci fait, il se mit en route, direction Quetaïn, tout en grignotant sa pomme.

Il l’atteignit en début d’après-midi. Par habitude, il passa d’abord au marché s’acheter un peu de viande séchée. Les pommes, ça va bien deux minutes, il ne pouvait pas s’en nourrir éternellement non plus.

Ses achats faits, il se dénicha un petit muret, sur lequel il s’assit. Posant ses affaires près de lui, il fit passer sa flûte entre ses doigts, déposa un petit pot de bois gravé à l’attention des passants et commença à jouer un air doux.

Dès les premières notes, il s’immergea lentement dans son monde fait uniquement de musique, oublia celui autour de lui. Ses doigts dansaient sur le corps de bois poli, et l’instrument parfaitement maîtrisé retranscrivait à la perfection ce qu’il désirait.

Il ne quitta finalement sa flûte, gorge sèche et à bout de souffle, qu’en fin d’après-midi. Le marché se vidait, et il n’y avait que quelques pièces dans son pot. Tout en grognant contre le manque de sensibilité artistique de ces crétins de citadins, il prit le temps de prendre une gorgée d’eau à son outre.

Où allait-il pouvoir aller ? s’interrogea-t-il en entamant une marche assez instinctive, laissant ses pas le mener à travers les rues de la ville. Le soir tombait, mais il n’avait certes pas assez d’argent pour se payer une chambre dans une auberge. Dormir à même les pavés des ruelles ne le tentait pas vraiment, et sortir de la ville non plus. De toute façon, il n’avait pas encore sommeil.

C’est en suivant ce fil de pensées qu’il arriva au port, et devant la mer.

La nuit s’était avancée lors de son errance tranquille, et le ciel dégagé laissait briller une demi-lune sur les flots calmes, venant se briser contre les quais et les flancs des bateaux. Le large amenait une odeur d’iode le long de fraîches rafales de vent, qu’il laissa s’engouffrer sur son visage et dans ses poumons à coups de profondes inspirations.

Non, il n’avait définitivement pas sommeil. A la vue de l’onde sombre, cependant, une idée lui vint. Les citadins pressés sont peut-être peu enclins à donner de l’argent, mais il connaissait une espèce d’humains qui, elle, avait une certaine tendance à jeter ses jolies pièces par les fenêtres, ou plutôt au fond de la caisse de tenanciers de tavernes.

C’est le long des quais qu’on trouve le plus facilement des tavernes pleines de marins, souvent bourrés histoire de compenser leur sobriété lors de leurs séjours en mer. Et les hommes et femmes ivres adorent lancer de l’argent à de tranquilles bardes, surtout s’ils savent bien jouer.

C’est toujours à double-tranchant, néanmoins. Les gens ivres morts ont tout aussi tendance à faire n’importe quoi, et une bagarre arrive très facilement. Il faut savoir discerner le moment où elle va arriver et filer avant.

Venait aussi le problème que son physique androgyne laissait parfois penser « femme » aux plus intéressés. La menace d’un couteau, songea-t-il en apportant la main au manche du sien, suffisait généralement pour refroidir leurs ardeurs.
Sinon, il suffit de déclencher la bagarre.

Humanité facile.

Un sourire aux lèvres, il se détourna de la mer pour remonter un peu dans la ville, s’efforçant de repérer le bruit caractéristique des tavernes. Il ne mit guère longtemps à en trouver une, encore assez calme – ce n’était que les premières heures du soir, et les fauteurs de troubles avaient toute la nuit devant eux.

Se glissant à l’intérieur, il remonta jusqu’au bar, s’y accouda avec nonchalance pour attirer l’attention de l’homme le tenant.

- Oui ? lui lança-t-il avec une certaine note de lassitude.

Note. La musique est partout. Parfois, lui venait la pensée que la musique est tout.

- Je viens proposer mes services, engagea-t-il avec un sourire limpide. Je suis barde et j’aimerais distraire les clients de votre, hmm, charmante enseigne.

« Charmante » était un bien grand mot. On parlait de marins, quand même. Une espèce assez rustre, ils ne sont pas sensibles à tous les genres de musique.

- Si ça vous amuse, répliqua l’homme. Mais je ne vous payerais rien.

Cal haussa les épaules.

- Ils payeront pour vous. Je peux avoir de l’eau ?

Acquiesçant, il déposa un verre devant lui. Assez satisfait et sans plus de façons, il se jucha sur le comptoir pour s’y asseoir, posa son petit pot de bois. Il déposa son bâton de marche à ses pieds près de son sac, en sortit son masque blanc et noir, qu’il fit glisser sur son visage. Ce dernier laissait libre sa bouche, conçu exprès pour lorsqu’il jouait de la flûte.

Il retira ensuite ses gants. Laissant sa flûte à son côté, il cala sa vièle contre son torse et sa jambe, déposa quelques accords pour se délier les doigts.

La mer l’avait mis dans un état d’esprit plutôt mélancolique, mais ce n’était pas de la musique douce que requérait un pareil endroit, songea-t-il avec un brin d’ironie en observant les hommes et femmes déjà passablement enivrés.

Il prit le temps de boire une gorgée d’eau, de sortir une de ses pommes pour y croquer un morceau avant de la déposer à côté de lui et, sans plus tarder, il commença à jouer un air léger et entraînant.

La nuit, assurément, allait être enrichissante.

La nuit avançant, son esprit se dégagea, et tirer de ses cordes de la musique entraînante se fit bien plus simple. L’endroit, bien que rempli de gens à moitié ivres, voire tout simplement en plein coma éthylique, avait quelque chose d’exaltant.

Les allées et venues des serveuses ressemblaient à une danse, dont seules elles connaissaient les pas ardus, les mouvements calculés, le reflet cuivré. Les verres et bouteilles aux vapeurs étourdissantes qu’elles transportaient ne tombaient jamais, et on aurait presque pu se perdre dans leur tourbillon sans fin.

L’alcool, justement. L’atmosphère en était saturée jusqu’à l’overdose. Des odeurs puissantes, qui s’accrochaient à la peau, aux vêtements. Notamment, voilà une des raisons pour laquelle Cal ne buvait pas, lorsqu’il jouait dans un tel endroit. Rien qu’en respirant, on aurait pu en avoir la tête qui tourne, et il avait besoin de toutes ses facultés cérébrales pour jouer correctement.

Pour l’instant, cela ne lui rapportait pas grand-chose. Mais il était patient, et s’il le devait, il profiterait quelques heures plus tard de l’inconscience de la majeure partie de la salle pour piquer les pièces traînant.

La morale est une note comme les autres, et de la musique, il en faisait ce qu’il désirait.

La musique, la foule, les vapeurs d’alcool, les rires…

On pouvait ici oublier quelques instants, qu’au final, nous sommes tous seuls ici-bas.

Ce fut une présence qui le tira de ses pensées floues, tranchant mélange de mélancolie acide et d’un désir sauvage de s’en libérer, de ce sentiment délétère qui n’avait jamais cessé d’accompagner ses pas.

Se redressant, il avisa, plantée devant lui, une pirate – probablement une capitaine. Belle pirate, concéda-t-il en la toisant, un peu plus jeune que lui, peut-être.

Mais il fallait avouer que le plus intéressant chez elle, exceptant sa jolie peau, ses tout aussi jolis yeux et sa silhouette attirant beaucoup de regards, était la pièce qu’elle exhibait sous son nez.

Bah oui, fallait bien se nourrir, aussi.

-Dis moi mon beau, avec mes amis on aimerait bien profiter un peu plus de tes talents.

Intéressant, nota-t-il froidement. Elle le prenait pour un homme. Il était souvent important de le savoir. Parfois, voire souvent, les personnes attendaient de vous un certain comportement en fonction de sexe qu’elles vous assignaient. Par facilité, il avait appris à réagir en fonction de ce qu’on attendait de lui, en particulier dans certaines situations. Sauf lorsqu’il avait envie de jouer.

Se trouver dans une taverne surpeuplée de pirates ivres faisait partie de ces situations, et le jeu ne l’intéressait pas, pour le moment.

-Ça te dis de venir jouer à notre table ? Tu y gagneras cette pièce pour le déplacement, je prends ta consommation en charge en remerciement pour la musique et à la fin je te donne une autre pièce pour nous avoir supporté.

De plus en plus intéressant. De quoi conclure plutôt bien cette soirée, mieux, même, qu’elle avait espéré au début. Si ses copains pirates le prenaient tout autant pour un homme, cela pouvait bien se passer.

Pas tous les jours qu’il tombait sur quelqu’un d’aussi généreux, qui plus est sobre. Allons, peut-être que les pirates ont un minimum de goût, finalement.

-Vendu?

Il haussa les épaules – mauvaise habitude.

- J’accepte.

Il descendit de son perchoir, rassembla ses affaires et la suivit à travers la foule.

C'est légèrement intrigué qu'il détailla rapidement la bande de pirates, encore assez sobres pour acclamer son arrivée. Il ne s'attardait que rarement dans ces bars répandus mal famés, et, par conséquent, n'approchait que peu ce genre de gens qui avait pour habitude de sillonner les mers en laissant quelques pillages et épaves dans leurs sillages.

Il tenta d'imaginer leur vie, sans cesse sur les flots et une mise à prix sur la tête, et en conclut sans grand-mal que si l'idée plaisait, et aurait bien débouché sur quelques glorieuses chansons, il n'était de toute façon pas bon parolier, et préférait encore avoir la terre sous ses pieds et la sécurité des gardes dans les villes.

De toute façon, l'important était que la pirate le payait bien, voire même très bien, et que la pièce promise allait lui permettre quelques temps de tranquillité d'esprit. Il se contenait d'espérer qu'ils ne lui causent aucun ennui, ne sachant trop quoi attendre de bandits des mers ivres morts.

Juché sur sa chaise, il cessa vite de les observer, bombardé de demandes diverses de la part des pirates. Il n'eut pas le temps d'y répondre, qu'ils furent coupé par celle qu'il supposa être leur capitaine.

-Messieurs, messieurs. Il serait temps de changer de répertoire! Laissez donc notre ami nous étonné de ses nouveauté. Nous avons toute la nuit et tout l'alcool de Quetaïn pour chanter par la suite!

Il esquissa un semblant de révérence, souriant.

- Ma foi, j'espère être à la hauteur de vos attentes.

Voyons, songea-t-il, effleurant les cordes de sa vièle. Que pouvait-il leur proposer comme chansons ? Il en connaissait beaucoup, d'amour comme des grivoises, d'aventures comme des louanges à la chaleur du foyer.

Il en avait également quelques-uns sur les pirates, leurs figures de proue (sans mauvais jeux de mot), bien que pas énormément. La piraterie n'était donc pas un milieu avec lequel il avait été beaucoup en contact et il n'avait pas encore eu l'occasion d'apprendre de bons chants, d'autant plus qu'ils étaient généralement mal accueillis dans les auberges bourgeoises des villes.

Au contraire, il connaissait sur le bout des doigts bien des chants de louange à la garde, aux familles royales, des originales, des vieilles, des entraînantes, des douces ; mais il doutait que ce genre de musique soit apprécié ici. Bien qu'il ait très, très envie d'essayer. Les pirates ont-ils le sens de l'humour ? S'apercevoir que non serait dommageable.

Il entama une simple chanson grivoise entraînante, assez connue pour que d'aucuns la chantent avec lui ; ce qui était généralement apprécié. Il la maîtrisait assez bien pour se permettre de réfléchir à autre chose que son chant ou ses doigts sur les cordes de son instrument, ce qui n'était pas négligeable pour pouvoir appesantir sur la suite de son programme.

Observant à nouveau l'assemblée alcoolisée, il lui semblât que celle-ci lui disait quelque chose – peut-être des nouvelles, des dires de gardes, de personnes au fait des membres de la piraterie. Pas grand-chose.

Des nouveautés, se rappela-t-il. La pirate avait demandé des nouveautés. Logique, au fond, de la part de quelqu'un qui, supposait-il, devait être pas mal coupé du monde en général. Que connaissait-il de nouveau ?

Il avait bien quelque chose, oui, sourit-il. Une petite chansonnette joyeuse, mais sur un personnage, ma foi, que les pirates risquaient ne de pas apprécier.

S'y risquerait-il ?

Quelle question.

S'efforçant de ne pas paraître trop heureux de s'enfoncer lentement dans les ennuis, il commença donc à chanter les louanges de Philip Sartin, connu pour être à la tête des Chevaliers.

Il était un fier et grand chevalier, disait-on
Dont le parcours ne pouvait que forcer l'admiration...

[Moi, à la bourre ? Jamais. Pas du tout mon genre. C'est une rumeur infondée et injuste.]

Enchaînant sur une simple mélodie pour reposer sa gorge, Cal suivit d'une oreille la conversation de la femme pirate l'ayant abordée avec d'autres membres de son équipage – notant au passage avec une légère inquiétude la massive et étrange stature de l'être présent près d'elle, détonnant un peu et cachée par un manteau. Guère rassurant, surtout comparé avec sa frêle stature..

A force de penser à l'étrange personne, c'est avec un temps de retard qu'il vit les regards pesant sur lui. De quoi parlaient-ils, déjà ? Ah, oui. Le capitaine de l'Ordre. Et ils voulaient en savoir plus sur cette histoire de dragon.

Il en avait entendu parler – évidemment, on ne saurait ne pas connaître des faits de gloire en temps que barde – mais s'estimait bien plus doué pour les chansons, qu'il apprenait par cœur, que pour raconter des histoires.

Mais bon, il semblait qu'il n'allait pas pouvoir y échapper, songea-t-il en dévisageant l'assemblée silencieuse. Il n'avait guère envie de voir filer son payement, ni de se prendre un coup sur la tête. D'accord, pour l'instant tous ces pirates avaient l'air calme, mais quand même, on ne sait jamais.

Bon... C'est pas trop mon truc, de raconter des histoires, mais je vais essayer.

Faudra pas se plaindre si c'est de moins bonne qualité. Enfin, sait-on jamais ; il ne s'était que peu essayé à cet art. Peut-être que son conte serait apprécié. C'est toujours une idée à développer, les histoires, pour diversifier ses prestations et toucher plus de monde, même s'il est toujours moins évident de narrer cela sur une place au milieu de la ville plutôt que des chansons, bien plus courtes.

Il toussota légèrement pour se dégager la gorge, rajusta son bandeau sur ses cheveux – l’atmosphère lourde de la taverne lui donnait bien trop chaud – et fit courir ses doigts sur les cordes de sa vièle. Il pouvait accompagner son histoire d'une musique simple, afin d'être plus intéressant. Oui, cela paraissait une bonne idée.

Eh bien, heureusement qu'il était super bien payé sur ce coup.

Après quelques instant pour se remémorer ce qu'il savait du chevalier, il entonna une légère mélodie, observa l'auditoire attentif et commença.

- Philip Sartin, dans son domaine, s'est bâti une réputation tenant presque de la légende. Maintes gens chantent ses louanges, dit-on, des tavernes aux boudoirs des palais. D'aucuns disent que bien des livres seront écrits sur lui, bien des chansons composées et bien e statues érigées. Pour le moment, à environ trente ans, il est connu comme étant le capitaine de l'ordre des chevaliers, et, surtout comme étant le Tueur de dragons.

Il se sentait définitivement peu à l'aise dans ce rôle. Parler aussi longtemps exigeait de lui qu'il pose sa voix dans les graves, afin de conforter son rôle masculin, ce qui était épuisant à la longue et lui demandais beaucoup de concentration. Cela faisait longtemps qu'il parcourait les routes sans trop de problèmes, mais par souci de sécurité, il n'avait guère envie que son genre de naissance soit soupçonné ainsi, à une assemblée de pirates ivres, en pleine nuit, alors qu'il ne savait même pas se batte convenablement.

- Il était bien jeune, quand il est devenu Chevalier. On le disait déjà courageux, doué à l'épée, implacable au combat et bon avec les siens et les nécessiteux. Il se dit qu'il n'avait qu'une quinzaine d'années quand il affronta le dragon dont il est ici question.

Peu au fait des règles inhérentes à l'Ordre des Chevaliers et autres procédures compliquées et ennuyeuses, il improvisa quelque peu, cherchant à rester réaliste, pour le peu qu'il savait. Concentré à la fois dans son histoire, sur sa mélodie et sur sa voix, pour l'instant égale, il sentit une goutte de transpiration rouler sur sa tempe.

- C'était lors de la bataille opposant Feïral et Akeraï, quelques jours à peine après son adoubement. Lui et les autres Chevaliers, pour protéger leur Royaume, durent faire face à un ennemi bien préparé, qui envoya contre eux une mer d'Orcs, de Trolls, de sorciers. Les morts jonchaient peu à peu le sol, appartenant aux deux camps, et les survivants disent qu'il y avait tant de sang partout qu'ils en oublièrent jusqu'au sens du mot « paix ». Il ne restait que la douleur.

Sa voix dérailla dans les aigus un bref instant, il la reprit fermement. Ses doigts entamèrent une mélodie plus rythmée, et il ferma les yeux pour mieux se concentrer sur sa tâche.

- C'est au milieu de la bataille qu'ils se rendirent compte que le roi d'Akeraï était parvenu à faire appel à un dragon. Alors que les Chevaliers s'étaient repliés, Philip et sa compagne d'armes de toujours, Riven, étaient restés en arrière. Ils se trouvaient ainsi tout près des mages ennemi qui tentaient de contrôler la bête qu'ils avaient amené.

Légère pause.

- Il était proprement gigantesque. On dit qu'il était plus haut encore que le plus grand des palais, que de sa gueule sortait une tornade de flamme dévastant tout, brûlant la terre et les cieux, et que ses griffes déchiraient les armures runiques des Chevaliers comme si elles n'avaient été que de papier. Voyant ses compagnons mourir en vain sur le dragon, n'écoutant que son courage, Philip Sartin prit son arme et laissa son amie blessé pour aller les aider, malgré la peur et le danger. Il grimpa sur le dos du dragon, où il était plus en sûreté que face à sa gueule ou ses griffes, et remonta vers sa tête, sans jamais faillir ou trembler.

Quelle idée d'aller affronter un dragon, quand même. Que ne feraient les hommes et femmes pour entrer dans les légendes ? Même si, ici, la situation était spécifique. En tout cas, face à un dragon, il serait plus du genre à se cacher ou fuir. Ce devait être un homme intéressant, quand même, ce Philip.

Il finit par atteindre la tête de la bête, et planta en un coup sa lame entre ses yeux, à travers les écailles du dragon. Il tint bon, accroché à son épée, durant les soubresauts de lutte et d'agonie de la bête, et ne la retira que lorsque celle-ci cessa tout mouvement, morte, tuée par un mortel.

Il sentait approcher la fin de son histoire, et en était soulagé. Sa voix était sèche de tant parler, et plus irrégulière qu'au début, également.

Cette victoire, impensable, le fit entrer dans la légende, à seulement quinze ans, et c'est tout naturellement qu'il finit par devenir capitaine de l'Ordre. On dit qu'il ne pouvait en être autrement, et qu'il continuera encore longtemps de faire parler de lui.

Ses doigts cessèrent de danser sur son instrument, qu'il reposa sur ses genoux le temps d'attraper sa gourde d'eau et d'en boire une longue gorgée. Ne supportant plus la chaleur pesant sur son visage, il ôta son masque et s'essuya le front, soulagé. Se racla brièvement la gorge.

- Bon, ça vous a plu ?

[Je ne vois absolument pas ce que tu veux dire ! Personne n'a attendu impatiemment, tuant parfois les malheureux qui passaient par là pour se soulager, que tu apportes la suite. Persooooooonnnnneuh. Mais puisque tu sembles te repentir malgré tout, je te fais la grande joie de répondre là. :D et d'attendre ta prochaine réponse. Qui ne me fera pas attendre, n'est-ce pas? <3 <3 ]


La musique avait le don de tenir à carreau les pirates. Enfin, autant que le rhum. Donc, faute de les assagir, ça avait le mérite de leur plaire suffisamment pour ne pas la briser et l'écouter goulûment. Ce n'était pas une façon bien courante de raconter une histoire cependant.

Chez nous, dans la crique, il y a deux choses qu'on peut estimer de sacré. Outre la loi du plus fort, ou la loi qui dit que rien n'est sacré pour un pirate. Ou encore l'accord tacite du "je me vengerai et tu souffriras 1000 fois plus si tu me laisses survivre". BREF! Y a deux choses que les pirates évitent généralement d'interrompre quand ils ne veulent pas se faire de trop nombreux ennemis.

Tout d'abord, les chanson. Oui, je l'ai dit encore et encore mais bordel qu'est-ce qu'on aime les chansons. Moi particulièrement celles qui parlent de moi. Mais la plupart du temps, ce qu'on aime dans les chansons, c'est que sa rassemble autour du rhum et que ça permet de beugler son content sans penser aux gens qui meurent chaque jour dans le dur milieu de la piraterie.... ou d'autres raisons dont on se fiche un peu.

Et puis, y a les histoires. Pas les comptes de fées, tout mignons tout beau. Les histoires qui sortent du coeur de la mer et qui s'y sont parfois perdues plusieurs fois avant de nous revenir. C'est pas pour rien qu'on dit que les marins sont superstitieux. Certains croient qu'il existe des navires fantômes, d'autres prétendent qu'il existe des femmes ailées qui poussent les marins à se noyer par leur chants.. Et, surtout, d'autres parlent des figures de la piraterie... et des mystères derrière leur succès. J'ai déjà entendu une histoire disant que j'étais en fait un homme, se faisant passer pour une femme pour pousser les adversaires à baisser leur garde. Et moi je passe souvent à la crique.
Si on prend Jack, par exemple, qu'y y met les pieds une fois toutes les décades, on raconte que sa mère a été enlevée par un démon des océans et que Jack a du faire un pacte avec lui pour garantir sa survie. On raconte aussi qu'il a parcouru les mers pendant une centaine d'année. Ce qui me semble un sacré bobard. J'ai vu le type et c'est un très beau jeune homme. Rien a voir avec le vieillard dont on nous parle dans ses nombreuses histoires.

Du coup, une histoire sur un air de musique, ça ne s'interromps pas. Et le bougre s'en tire pas mal. Peut-être aime-t-il beaucoup ce personnage illustre? Philip Sartin.. Bah, le jour où il viendra sur mer on s'y intéressera bien. En attendant, je dois avouer qu'il aurait sa place dans les légendes des mers. Yup, presque aussi impressionnant que Nuhada se déguisant en femme.
J'ai tout de même quelque doute quant à cette histoire de dragon. Un truc comme ça, ça se verrait venir de très très loin. Et ça se fuirait. Un truc capable de cramer un bateau en baillant? Non monsieur, je m'en approcherai pas.

En attendant, l'histoire a joliment fini et on acclame notre barde pour son formidable travail.

-Tu devrais raconter plus d'histoire, l'ami!

Et enlever ce masque plus souvent, me disais-je en voyant le joli visage qu'il cachait. Pourquoi diable cacher ce visage de bébé? Une perle comme ça, ça devrait s'admirer. Est-ce que je cache mon jolie minois, moi? Jamais! Et le reste? Un peu plus quand même. C'est que je ne voudrais pas que tout ces hommes se battent pour moi.

Mais je pense, je pense et ma choppe est déjà vide. Je demande à Greg de me passer une bouteille et je m'aperçois qu'elles s'empilent déjà sur la table.

-Hey! Pensez un peu aux autres!
-On boit pas beaucoup plus que vous Capt'ain.
-Tu me diras ça quand t'auras finis de payer ta tournée!
-Ouais! C'est la tournée de Baarl!
-Haha! J'espère que t'en as dans les poches.

Je finis par recevoir une bouteille avec assez de contenu pour remplir ma choppe.... Et un peu plus pour finir direct dans mon gosier. Soudain un marin se redresse et frappe sur la table.

-Captain ! Un chant d’chez nous !

Les autres gars lève leur chope et poussent des hurlements d’assentiments en tapant sur la table. C’est un peu leur façon de réclamer ma permission. Je lève ma choppe vers l’éhonté qui a fait une telle demande.

-Et laquelle mon ami ? Choisis en une qui face honneur à mon invité.

Il prend le temps de réfléchir, ce qui semble être d’une difficulté.. d’une plus grande difficulté que d’accoutumé. Finalement il s’exclame.

-Anna Lee ! C’est la plus belle chanson qu’je connaisse !

J’approuve son choix d’un hochement de tête. C’est une très belle chanson qui permettra de calmer un peu ses braillards.

-L’ami, tu vas avoir l’honneur d’entendre Greg chanter. Et le reste aussi, ce qui s’rait plus un malheur. Prépare tes oreilles. Greg, si tu veux bien nous faire l’honneur.

Un de mes gars, l’un des plus gros, de tour de bide comme de bras se lève avec sa choppe.

-Vous m’faites trop d’honneur captain.

Il s’éclaircit la voix avant de se tourner vers le barde.

-Libre à vous d’m’accompagner, c’est un chant traître.

Anna Lee

Dans l’triste silence d’une nuit,
Mer Lugubre, toujours d’un calme mortel,
Pleurant son destin, j’entendis Anna Lee
Une vague pour chaque larme d’la belle

Certains de mes gars entreprirent alors de rythmer la chanson d’un coup de chope à la moitié de chaque vers et un autre à leur fin. C’est un chant si vieux qu’il impose un certain respect du rituel, mais vieux est assez relatif pour un pirate.

Alors Anna Lee s’offrit à la mer
L’océan devint sa tombe paisible
Plus de chagrin, plus de fers
Emportée par une unique vague

Anna Lee s’échoua dans le royaume par delà la mer
Mais cette mer n’avait pas de rives
Dans les demeures des anciens rois d’hier
Elle choisi de ne plus jamais vivre

Alos Anna Lee s’offrit à la mer
Pour renaître telle qu’elle n’aurait du être
L’appel des vagues devint son seul maître
Et maintenant elle est ma reine des mers

A la voix de Greg qui s’éternisait sur la dernière syllabe, plus personne ne pouvait douter de la suite. Le refrain arrivait enfin et tous levèrent leur verre pour l’y rejoindre.

Alors j’ai navigué à travers la mer
Pour trouver la Anna Lee qui m’est chère
Mais les vagues ne laissent par r’partir
Et l’vent ne cesse de rugir[

Anna Lee aspirait aux monts et aux prêts
Elle désirait les fleurs et les les arbres
Mais plus que tout, un simple sourire
Et s’reposer dans la chaleur de l’été

Alors Anna Lee s’offrit à la mer
L’océan devint sa tombe paisible
Plus de chagrin, plus de fers
Emportée par une unique vague

Alors j’ai navigué à travers la mer
Pour trouver la Anna Lee qui m’est chère
Mais les vagues ne laissent par r’partir
Et l’vent ne cesse de rugir

Comme le veut la coutume, Greg relance les hommes avec plus de force pour ce qui est sans aucun doute l’apogée de la chanson.

Alors j’ai navigué pour trouver la rive
Mais ne trouva plus la route du retour
Plus jamais, plus jamais
Plus jamais.

Mon passage préféré arrive, c’est le moment où j’ai l’impression que tout mes gars chantent justes ! Mais c’est sans doute parce qu’il faut beugler en continu sans s’inquiéter d’autres choses que d’être en rythmes avec les autres.

Si loin, ô si loin,
Ma femme est si loin,
Si loin, bien trop loin,
Mon amour est si loin.

Greg attend un moment, le verre levé, ce qui permet à certains de calmer leur gorges d’une bonne rasade. Puis, alors que le calme revient, il reprend d’une voix grave et profonde.

J’ai été à cette demeure où elle fut autrefois,
J’tremblais, j’ai frémis, mais la porte j’ouvris
Dans l’air une douce odeur de Lilas
Et Anna ... Anna Lee, n’était pas ici

Connaissant le chant par coeur, les gars lui donne la réplique comme il l’attendait.

Alors ferme les yeux et ce jour tu entendras
Mes chants pour la belle Anna

Alors ferme les yeux et ce jour tu s’ras ici
Chantant pour ma chère Anna Lee

Alors ferme les yeux et pose ton verre,
Et chante pour ma reine des mers

La chanson finit dans un silence… qui ne dure pas longtemps avant que tous se félicitent de grandes claques dans le dos et de bonne gorgée de Rhum. Greg à droit à son lot d’applaudissement et je jurerai que les autres clients ont appréciés. A moins qu’ils ne nous lancent des insultes. Pour  le coup ils ne m’intéressent pas vraiment.

Anna Lee est un chant qu’on aime beaucoup. Déjà parce que des chants tristes sur l’amour tout ça, on en a pas tant que ça dans la crique. Ensuite, parce que ça fait partie de ces nombreuses légendes des mers dont on ne sait plus grand-chose. Tout ce qu’on sait, c’est que plusieurs navires ont vraiment pris le large pour trouver une Anna Lee. Mais ce n’est pas tellement une histoire de pirate, plus une vieille, vielle, vieille histoire que les plus vieux marins de Quetaïns pourraient raconter. Alors pourquoi la crique a gardé la chanson si vive ?
Parce qu’y paraît que Jack Sombrebarbe l’aime beaucoup et qu’il laissera la vie sauve à quiconque pour la lui chanter dans tout le respect du rituel.

Bon.. en vrai… je sais pas si Jack fait se genre de blagues, mais plus personne ne sait vraiment comment la chanson se chantait à l’époque. Greg est juste le meneur lors des chansons sur le navire et mon équipage a rapidement adopté sa version de la chanson. Dans chaque taverne on en trouve une autre et certains équipages se battent dans la rue pour faire valoir que leur variantes est la meilleure. Dans certains cas, même les paroles sont différentes.
C’est ce qui arrive quand une poignée de personne sait lire dans une ville. Et encore, moi je sais, mais je le fais jamais. Même pas pour écrire mon journal de bord. Alors pour essayer de retrouver une vieille chanson ?
Mais je divague.


-Hey l’ami ! Joue nous donc quelque chose d’aussi joli ! Arrache donc des larmes à ces gros durs que je puisse me moquer d’eux.

[C'est pas très gentil pour eux quand même :o du coup, afin d'éviter quelques déconvenues à de pauvres malheureux, j'ai tenté de faire le plus vite possible ~ et pour la chanson j'avais : pas d'idées.]

Cal sourit légèrement devant les félicitations de son ivre assemblée. Qu'importe les efforts fournis, il aimait toujours qu'on apprécie ses prestations musicales. C'était aussi pour cela, pour ce silence pendant ses mélodies et les sincères acclamations qu'il était devenu barde.

-Tu devrais raconter plus d'histoire, l'ami!

Il haussa les épaules en toute réponse. C'était du travail, les histoires. Il fallait en connaître, avoir une jolie musique dessus, trouver le bon ton... Bon, rien de bien différent de ce qu'il faisait d'habitude. Alors un jour, peut-être.

Il y eut un léger instant de flottement, où la capitaine remplit sa choppe, et qu'il mit à profit pour boire un peu – de l'eau, contrairement à ces avinés de compétition. Une fois désaltéré, il fit craquer un peu ses doigts, machinalement, pour les détendre après les avoir fait longuement danser sur sa vièle.

Laissant finalement son masque sur la table, il attendit patiemment une nouvelle demande, où qu'on le congédie, sans prêter plus attention aux discussions autour de lui.

Un des marins faisant entendre son poing attira son attention. Il suivit avec attention l'échange se déroulant entre la capitaine et ledit marin. Ainsi, on allait lui chanter une chanson ? Voilà qui se révélait intéressant. Il était rate que le public vienne à lui apprendre d'autres œuvres ; d'ordinaire, les bardes se renseignaient seuls, où s'échangeaient leurs connaissances quand ils tombaient sur leurs semblables.

-Anna Lee ! C’est la plus belle chanson qu’je connaisse !

En voici une qu'il ne connaissait pas, ce qui était bien satisfaisant. C'était là l'occasion d'user de son excellente mémoire auditive pour la retenir. Fructueuse soirée que celle-ci.

-L’ami, tu vas avoir l’honneur d’entendre Greg chanter. Et le reste aussi, ce qui s’rait plus un malheur. Prépare tes oreilles. Greg, si tu veux bien nous faire l’honneur.

- Ma foi, s'amusa-t-il, j'ai hâte d'entendre ça.

Pour l'occasion, il délaissa sa vièle pour sa flûte de bois, qu'il plaça entre ses lèvres, le front plissé par la concentration. Il laissa les pirates commencer le chant ; se calqua sur leur rythme pour jouer de son instrument.

Jolie chanson, accorda-t-il, l'écoutant attentivement pour la graver dans sa mémoire. Des pirates entonnant des chansons d'amour, il ne pensait pas entendre ça un jour.

C'était aussi pour ces étranges scènes qu'il n'avait jamais regretté de quitter sa ville des sables. Il y a mille fois plus à voir dans ces tavernes que dans les rues qui l'avaient vu grandir.

Certains clients de la taverne, ainsi que le gérant, jetèrent quelques regards allant d'intéressé à hostile en direction du petit orchestre improvisé. Les voix gorgées d'alcool des pirates vacillants n'avaient pas l'air de plaire à tous. D'une façon générale, les pirates ne plaisent pas à tous. C'était compréhensible, mais bon, ça paye bien, parfois, ces bêtes-là.

La fin de la chanson, apprise sans grandes difficultés, finit par le brouhaha habituel que peuvent causer des pirates. C'était agréable, finalement. Epuisant, mais agréable. Ils faisaient un public enthousiaste et drôle.

-Hey l’ami ! Joue nous donc quelque chose d’aussi joli ! Arrache donc des larmes à ces gros durs que je puisse me moquer d’eux.

Faire pleurer des pirates ? Faut y aller, quand même. Faire pleurer de frêles et jeunes aristocrates, d'accord. Faire pleurer de jolis nobles bien habillés, c'est facile. Mais alors des hommes et femmes musclés et friands de pillages, c'était là tout autre chose.
Il s'accorda quelques instants de réflexion, hésitant entre quelques chansons de son répertoire, qui pourraient rester n minimum dans le thème de la précédente.

- Eh bien, il se pourrait que j'ai une chanson un peu triste en réserve. Je ne promets pas de faire pleurer d'aussi féroces pirates, railla-t-il légèrement, et elle n'est pas sur le thème de la piraterie, mais c'est ce que j'ai en réserve.

Il rangea sa flûte, but encore, et, se saisissant de sa vièle, fit glisser ses doigts calleux sur les codes usées de son instrument de bois pour entonner une mélodie un peu triste et lancinante.

Petite Marie, je parle de toi
Parce qu'avec ta petite voix
Tes petites manies, tu as versé sur ma vie
Des milliers de roses
Petite furie, je me bats pour toi
Pour que dans dix mille ans de ça
On se retrouve à l'abri, sous un ciel aussi joli
Que des milliers de roses

Je viens du ciel et les étoiles entre elles
Ne parlent que de toi
D'un musicien qui fait jouer ses mains
Sur un morceau de bois
De leur amour plus bleu que le ciel autour

Petite Marie, je t'attends transi
Sous une tuile de ton toit
Le vent de la nuit froide me renvoie la ballade
Que j'avais écrite pour toi
Petite furie, tu dis que la vie
C'est une bague à chaque doigt
Au soleil de Sipheaï, moi mes poches sont vides
Et mes yeux pleurent de froid

Je viens du ciel et les étoiles entre elles
Ne parlent que de toi
D'un musicien qui fait jouer ses mains
Sur un morceau de bois
De leur amour plus bleu que le ciel autour

Dans la pénombre de ta rue
Petite Marie, m'entends-tu ?
Je n'attends plus que toi pour partir...
Dans la pénombre de ta rue
Petite Marie, m'entends-tu ?
Je n'attends plus que toi pour partir...

Je viens du ciel et les étoiles entre elles
Ne parlent que de toi
D'un musicien qui fait jouer ses mains
Sur un morceau de bois
De leur amour plus bleu que le ciel autour

Sa chanson achevée, il toussota, la voix fatiguée, reposa sa vièle sur ses genoux pour regarder son assistance et leurs réactions. La nuit s'étirait, et finirait bien par finir. Il n'était pas contre quelques heures de sommeil – il était rare qu'il lui soit autant demandé. D'habitude, on le plaçait quelque part, le laissait chanter en lui lançant quelques pièces. C'est tout.

Une chanson d'amour... Les gens étaient friands de chansons d'amour. Que c'est bizarre.

Ce fut saisissant. Ce silence lors de sa prestation. C'était rare, un public aussi attentif, et précieux. Il ne s''attendait pas à ça de leur part. Cela le flattait assez, bien qu'il s'efforça de ne pas trop laisser augmenter son ego.

Étrange soirée que celle-ci, mais elle en avait valu le coup. Tout le monde ne peut se vanter d'avoir captivé des pirates après avoir écouté une de leurs chansons, le tout en étant largement bien payé. Dire que d'habitude, il se contentait de jouer dans des grandes places, face à des passants qui, généralement, se contentaient de rester une poignée de secondes avant de repartir à leurs tâches...

Enfin, en même temps, les places sont rarement, sauf lors des marchés, des endroits où l'on s'attarde à écouter quelque barde traînant là. Les tavernes sont bien meilleures pour ça, mais qui a envie de rester tout son temps enfermé, hein ?

Il aimait bien la chanson qu'il venait de leur offrir. Ses origines étaient assez floues, son auteur inconnu, et elle passait pour classique et assez peu répandue. Ce qu'il appréciait, outre le calme de la chanson et la mélodie simple, c'était qu'il semblait qu'un ménestrel quelconque l'avait rédigée. C'est toujours drôle, de chanter les œuvres de ses confrères ou consœurs, celles de personnes ayant erré comme lui pour quelques pièces.

Et puis, tant que le public aimait, tout allait bien.

La capitaine, l'interpellant, le sortit de ses pensées.

- Avec ça notre ami barde doit être connu jusqu'au palais du sultan! Pas vrai l'ami? Quel est donc ton nom d'ailleurs?

- Eh bien, répondit-il avec une légère surprise, cela serait flatteur, mais non. Mais on dit que l'appréciation qu'on a d'une musique est proportionnelle à son niveau d'ivresse, railla-t-il. Enfin, sinon, je m'appelle Cal. Et vous, d'ailleurs ?

Est-ce qu'il avait déjà entendu son nom ? Il ne savait plus. A part des "captain" lancés çà et là, et le fait qu'elle soit très probablement riche en plus d'être belle, il n'avait pas eu tant d'informations sur sa généreuse donatrice.

-Captain! Chantez nous une chanson Orc!

Ah, ça, c'était imprévu, et la capitaine en question n'avait pas vraiment l'air d'apprécier l'idée. Il n'y aurait pas plus prêté d'attention si l'un des membres de l'équipage n'avait lâché une phrase désastreuse.

-Certains disent qu'vous vendiez vot' corps aussi.

"Oh".

Il se sentit soudainement très, très mal à l'aise. L'atmosphère devint soudainement plus tendue et il regretta légèrement de ne pas s'être fait la malle avant ; parce que la capitaine semblait ne pas avoir apprécié du tout l'accusation.

Faut être fou, ou complètement saoul, pour se risquer à dire cela à son propre capitaine. Ou mesquin. Il ne saurait dire.

Gigotant de gêne sur la chaise sur laquelle il s'était juché, il entreprit de s'absorber dans la contemplation du plafond, en espérant disparaître grâce à quelque tour de magie. Tout, sauf cette situation.

Il comprit vite que la capitaine allait être forcée de chanter ; ce qui aurait pu être une expérience intéressante, si seulement cela n'avait pas été pour une telle raison. Ugh. Il en connaissait un qui allait rudement regretter ses paroles à plus ou moins long terme.

Il retourna un sourire désolé à la grimace de la pirate, décida de prêter quand même attention à sa chanson.

Elle était jolie, nota-t-il. Simple et répétitive – et qu'est-ce qu'il se passe dans la tête de ces Orcs pour rêver de mourir au combat ? Complètement fous ceux-là – mais pas désagréable, et ma foi, il avait entendu pire que la voix de la pirate. Genre, par pire, il y avait eu l’équipage peu de temps avant.

En même temps, ils étaient bien plus avinés que la capitaine.

Une fois la chanson finie, il repartit dans sa contemplation silencieuse du plafond, au demeurant très intéressant ; du moins, il tenta de s'en convaincre, avec assez peu de succès.

Il espérait pouvoir vite prendre congé. Déjà, il était fatigué d'autant chanter – et fatigué tout court, d'ailleurs – et ensuite, l'ambiance assez joyeuse était devenue bien trop tendue à son goût. Cela sentait la bataille rangée et il n'avait guère envie d'y être accidentellement impliqué. Comment on dit à une pirate énervée qu'on veut se barrer, tiens ?

Il se désintéressa tant et si bien de ce qu'il se passait autour de lui que c'est avec surprise qu'il sentit les bras de la pirate sur son cou. Ne s'attendant pas à un contact physique, il rougit légèrement.

-Raccompagneras-tu une femme sans défense jusqu’à la sécurité d’son navire, l’ami?

Sans défense, la bonne blague. Il était petit, mince et maigre, pas de quoi défendre qui que ce soit, surtout comparé à une femme armée. Enfin bon, il savait qu'elle n'était pas sérieuse, mais quand même.

-La captain sera la première à s’amuser ce soir !

-A l’abordage Cap’tain !

Il rougit davantage, de gêne encore. Oh non. Est-ce qu'ils sous-entendaient que ?... C'était beaucoup trop étrange, surtout au vu de la discussion précédente. D'ailleurs, il n'avait pas du tout envie d'être abordé par qui que ce soit. Et puis, c'est quoi encore, cette expression ? Prise au pied de la lettre, ça veut rien dire. Sauf s'il est question de cordes durant le...

Non. Définitivement, non.

-Depuis l’temps qu’j’vous l’répète ! Subtilité ! Si vous criez pirate partout, on va pas tarder à finir en prison!

En même temps, ils n'avaient pas vraiment l'air d'honnêtes marins.

Il se laissa entraîner par la pirate, assez dubitatif. Quelle compagne pouvait-il lui fournir ? Il n'était pas très bavard en temps normal, peu intéressant...

A moins qu'elle ne voulait vraiment l'aborder.

Eurk.

Dieux que cette expression était étrange.

La porte se referma derrière eux, les coupant du brouhaha de la taverne, des lumières vives et des odeurs d'alcool et d'humains entassés les uns contre les autres. A la place, l'air iodé, le ciel étoilé, leur lueur et celle des lanternes perçant les ténèbres. Nul son, autre que leurs respirations, la houle quelque part non loin, un bruit flou depuis l'intérieur de la taverne. La fraîcheur de la nuit sur sa peau et son visage fatigué.

Eh ben. Cela faisait du bien. Un temps doux, propice à quelques rêveries le long des quais.

Il jeta un vague coup d'oeil en direction de la capitaine, qui s'était appuyée contre le mur, dans le doute où celle-ci aurait été trop ivre pour tenir debout. Semblerait que non. Tant mieux, parce qu'il ignorait où était son bateau, et qu'il tenait pas à devoir se charger d'une pirate bourrée. Puis, si elle s'évanouissait, il faisait quoi, lui ? Il allait pas la laisser comme ça et serait obligé de la ramener dans la taverne. En la portant. Non merci.

Il bâilla plus ou moins discrètement, s'étira longuement.

-Dis moi… Qual ? C’est un joli nom ça, j’aime bien les quals.. J’divague. Combien je t’ai promis déjà?

Il sourit, amusé.

- Cal, rectifia-t-il. Le diminutif de Calypso. Vous ne pouvez malheureusement pas acheter quoi que ce soit avec moi. Quant au payement, euh...

La pirate se pencha sur lui.

- Un hexagone, non ? Mais n'hésitez pas à donner plus s'il vous en prend l'envie, fit-il sur le ton de la plaisanterie.

La somme promise était déjà conséquente à ses yeux, habitué à de ridicules montants. Il n'allait pas s'en plaindre.

Il la regarda, via le jeu d'ombres et de lumières offert par la nuit et les quelques lanternes éparses. Elle ne lui avait pas donné son nom. Qui était-elle, donc ? Quelles légendes et chansons pouvaient courir à son sujet ? Il aurait aimé savoir. Il aimait l'idée de rencontrer des personnes dont chants et contes faisaient l'éloge. Pour mieux les saisir et ainsi personnaliser ses mélodies, par curiosité, pour voir si la légende s'accordait à la réalité.

Elle avait une posture particulière, remarqua-t-il. Main dans le dos, penchée en avant après s'être affalée contre le mur. Pourquoi main dans le dos ?

Un peu inquiet, il recula de quelques pas. Il ignorait ce qui pouvait lui passer par la tête. Il avait entendu dire que les pirates n'avaient guère de sentiments, mais ils n'iraient quand même pas jusqu'à tuer le barde qui avait chanté pour eux, quand même ?

L'idée le fit légèrement paniquer. Il ne ferait définitivement pas le poids face à elle. Cette certitude, ajoutée à la somme astronomique promise, bien trop élevée, ainsi que la menace qui se dégageait de la pirate le décida finalement à faire volte-face sans prévenir pour s'enfuir dans une ruelle adjacente.

Parce que sa vie valait mieux qu'un peu d'argent ; en espérant que ne lui prenne pas l'envie de le suivre.

Peut-être qu'il avait une réaction disproportionnée, mais on ne s'amuse pas à prendre de tels risques quand on possède juste une vièle, un petit couteau et qu'on ne sait pas se battre.

Le jeune homme est un bon p’tit gars, il n’essaie pas de m’entourlouper et en plus de ça il est drôle. Calypso, c’est joli comme prénom. Je sais pas d’où ça vient, mais c’est plutôt sympathique. Je suis ravie à l’idée de le garder en vie, car les bons et jolis bardes ne courent pas souvent les rues de la crique et que si on les tues ailleurs ils ont encore moins de chances de le faire.

Néanmoins, alors que je pensais pouvoir relâcher la prise sur mon arme, un frisson me parcourt. Ce n’est pas tant du danger.. Ça, c’est plutôt ce que lui est en train de ressentir. Je peux voir au changement de son expression qu’il est inquiet.
Haha, a-t-il enfin mis un nom sur la pirate ? Est-ce qu’il commence à craindre pour sa vie ? C’est clairement de l’excitation qui m’a faite frissonner. J’ai l’impression que l’on vient de me livrer un petit lapin craintif. J’aime cette sensation.

Je m’avance avec la soudaine envie de jouer un peu avec le barde.. mais celui se retourne subitement pour fuir en courant. Qu’est-ce que c’est que ces manières ? Il n’a pas honte de partir comme ça ? Alors que le je commençais à peine ?

Hors de question qu’il m’échappe. Je me lance à sa poursuite, un peu titubante d’abord, puis l’élan parvient à me garder droite.. tant que je n’oublie de mettre un pied devant l’autre. Le problème, c’est qu’il est, dans ce cas au moins, plus rapide que moi. Je me vois mal le rattraper alors que chaque nouveau pas me rappelle un peu plus ce qui se trouve dans mon estomac.
C’est pas vraiment le moment de courir après quelqu’un.. Il ne me faut pas trente seconde pour en avoir la certitude.

-Cal.. calypso. Arrête t..

Je m’arrête soudain et me plie en deux pour éclabousser le sol. Je ne veux pas vous dire de quoi et vous ne devriez pas chercher à le savoir. Et si vous le savez oubliez ! Tout ! Nuhada Long John Silver ne vomit pas, d’accord ! Pas à cause de l’alcool en tout cas !

-Merde..

Je me plie à nouveau et j’espère de tout mon coeur que c’est la dernière fois quand je m’appuie contre un mur. Il fait chaud ici, ou alors c’est mon front qui est chaud.
Enfoiré de Barde, si tu te dépêche pas de revenir ça te coûtera plus que ton hexagone.

[Nyaha! Je suis sortie du jacuzzi juste pour toi, la barde, sois reconnaissante! Même si c'est une toute petite réponse :3 J'espère que tu apprécies aussi les vacances, si tu en as :3 ]

Il n'aimait pas du tout, du tout ça. Se sentir aussi vulnérable et que cela semble plaire à l'autre. Qu'est-ce qui clochait chez la pirate, hein ? Enfin, chez les pirates en général, supposait-il. Et les assassins. Et les... bon, chez beaucoup trop de monde à son goût.

Il ne lui restait plus qu'à espérer que la femme beaucoup trop effrayante pourlui soit trop ivre ou trop sensée pour le poursuivre. Prendre la fuite n'avait pas dû lui plaire, et si elle lui mettait la main dessus, il ne donnait pas cher de sa peau. Et après lui avoir échappé, eh bien... Il trouverait un endroit où dormir et partirait de cet endroit le plus vite possible, en espérant ne pas retomber sur elle.

Tout ceci ne se présentait pas sous les meilleures augures, d'autant plus qu'il l'entendait se lancer à sa suite.

-Cal.. calypso. Arrête t..

Soudainement agacé, il faillit s'en stopper net. Ce n'était pas Calypso, mais Cal. Ce n'était pas bien compliqué, quand même. Entendre son nom complet lui rappelait juste à quel point il le supportait de moins en moins et désirait juste l'effacer de sa mémoire.

Il entendit, à la suite, le bruit assez écœurant de quelqu'un vomissant. Eh bien, il semblait qu'elle avait trop bu, finalement. Bien fait.

Ne l'entendant plus courir à sa suite, il fit prudemment demi-tour, l'observa du coin de la rue. Elle avait mal en point, pliée ainsi et se maintenant contre le mur. Il en avait vu, des imbéciles ayant bu trop, trop vite, et régurgitant le contenu de leur estomac sur le sol – ou sur leurs voisins.

Voilà ce qui arrive quand on se soûle puis qu'on tente de s'en prendre à un bade facilement effrayé.

Il hésita à en profiter pour repartir aussitôt – et c'est probablement ce qu'il aurait eu le plus d'intérêt à faire. Après tout, il l'avait faite courir. Dans le même temps, il rechignait à la laisser ainsi, ignorant si elle était en capacité de se défendre si quelque chose lui arrivait.

Soupirant, il revint vers elle, traînant un peu les pieds. Dans quoi il allait s'embarquer, encore... Il ne savait même pas comment prendre soin de quelqu'un de malade. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pris la peine de côtoyer quelqu'un suffisamment longtemps pour cela, et lui-même se résignait à rester enfermé dans une chambre quand il l'était.

- Déjà, je m'appelle Cal, marmonna-t-il une fois arrivé à sa hauteur. Pas Calypso.

Les gestes teintés d'hésitations, il décrocha sa gourde à sa ceinture et la tendit à la pirate, glissant un bras sous son épaule pour la soutenir, tentant de ne pas froncer le nez sous l'odeur nauséabonde émanant de la flaque au sol.

- De quoi vous avez besoin ? interrogea-t-il. Que je vous ramène au bateau ou à la taverne ?

Il espérait qu'ensuite, elle le laisserait partir. Pour l'instant, elle avait l'air mal en point et relativement inoffensive, mais une fois remise, il ignorait comment elle se comporterait. Elle était trop imprévisible.

Beuah. Tout ce gâchis de rhum.. de bon rhum en plus. C’était bien la peine de payer pour ça, tient. Le barde est un crétin et je lui dirai quand je le retrouverai. Mais malgré que mon estomac se soit un peu calmé, les derniers efforts ont semblé me vider de mon énergie. J’ai bien envie de me laisser aller le long de se trottoir, pour reprendre mon souffle, ou peut-être dormir un peu.

Je suis pas vraiment du genre à douter de ce que j’veux, alors je m’assieds dos au mur et plonge ma tête dans mes mains. Ça pue ici. Un crétin a vomis juste à côté de moi. Les gens de Quetaïn ne sont plus aussi propre qu’avant. Ah, c’est moi qui ait vomis ? Foutaise ! Je tiens mieux l’alcool que la moitié de ces polchtrons ! Ouais d’abord ! Bon, c’est ptet moi cette fois, parce que je crois qu’y en reste une peu dans mes cheveux.

Déjà, je m’appelle Cal.

Qual c’est un joli nom. J’ai connu un barde qui s’appellait qual. Même qu’après il m’a fait vomir. Un bons souvenir un peu trop vif. Mais je ferais cette remarque sarcastique une autre fois, je suis trop crevée et trop sale pour vouloir faire la discussion.
Une main me tends une gourde. Bonne idée, l’alcool me fera oublier que je suis dans cet horrible état. Je la prend en espérant que ce soit du Rhum. Avant que je ne puisse la porter à mes lèvres je sens qu’on tire sur mon bras et qu’on me soulève péniblement du sol. Je rigole bêtement. C’est juste trop drôle.

-Héhé te faut plus de muscles mon gars, tu ne pourras pas épauler Long John Silver avec si peu d’efforts.

J’ai sûrement du bredouiller ça tant ma bouche est pâteuse. Je lève la gourde pour la rincer d’une bonne rasade de Rhum. Rasade que je laisse s’écouler de ma bouche avec une grimace de dégoût.

-C’est de la flotte !

Je me presse contre mon porteur et lui jette mon haleine d’ivrogne au nez.

-Hoy l’ami ! J’ai besoin d’alcool ! Y a pas de vigueur dans l’eau.

Disant cela, je prend tout de même une prudente gorgée dans la gourde et grimace en avalant l’eau.

-C’est froid comme la mort ce truc..

Parlant de froid, fait pas chaud par ici.

- De quoi vous avez besoin ? Que je vous ramène au bateau ou à la taverne ?

Ah ça parle de bateau, faut que j’arrête mes bêtises. C’est important quand il s’agit de mon navire. Et d’mon équipage aussi.

-Nan. J’pue comme une poissonnière. J’veux un bain.

Je réfléchi à l’endroit où je pourrais m’accorder ce luxe sans risquer de rencontrer mes gars. Ah j’avais vu une fontaine en quittant les quais. C’est bien une fontaine.

-Allez ! Pleines voiles vers un bain!

Sans plus de paresse je m’échappe du soutient de mon barde sauveur pour avancer décidée vers l’endroit où il me semblait avoir vu la fontaine. Mais quelque pas et je me prends d’un vertige. Je reviens vite m’agripper à lui.

-La terre est plus houleuse que l’océan ici, mieux vaux s’attacher au mât. Cap vers le bain ! Allez, allez.

Honnêtement, l'odeur émanant de la pirate était juste infecte. Il n'aurait pas eu le cœur aussi bien accroché, il l'aurait probablement laissée là, sur le sol, pour se casser loin avant de l'imiter et repeindre le sol du contenu de son estomac – pas si rempli que ça, au demeurant. Il avait passé la nuit à jouer et s'était contenté d'eau. Au moins, il n'y avait pas de solide à rendre.

Beurk.

Est-ce que tous les pirates sont comme ça ? Il faudrait qu'il lui demande. Autant profiter de l'état passablement pitoyable de la capitaine pour se venger un peu de la frayeur qu'elle lui avait faite. Et de l'odeur persistante qu'elle lui infligeait maintenant.

-Héhé te faut plus de muscles mon gars, tu ne pourras pas épauler Long John Silver avec si peu d’efforts.

Il fit la moue, vexé.

- J'ai pas besoin de muscles, j'ai un cerveau, grommela-t-il. Paraît qu'il m'empêche de vomir sur le sol.

Non mais oh.

Sa mine boudeuse tira vers le désespoir quand la pirate recracha l'eau si généreusement offerte.

-C’est de la flotte !Hoy l’ami ! J’ai besoin d’alcool ! Y a pas de vigueur dans l’eau.

- Pas question, rétorqua-t-il en éloignant son nez froncé de dégoût le plus possible de l'haleine pestilentielle de l'autre. D'abord j'en ai pas sur moi, et ensuite j'ai pas envie que vous me le recrachiez sur mes vêtements. Vous aurez de l'eau et puis c'est tout.

Et puis, est-ce que c'était sûr que l'alcool aide à faire passer une gueule de bois, hein ? Non. Bah voilà.

-C’est froid comme la mort ce truc..

Il se contenta de lever les yeux au ciel. Jamais contente, tiens.

-Nan. J’pue comme une poissonnière. J’veux un bain.

Le barde marmonna quelque chose s'apparentant à un « Ah bah, juste un bain, ça suffira pas », assez bas pour rester discret et éviter de provoquer la future ire de la pirate.

D'ailleurs, il ne savait même pas ce qu'il allait faire après. L'amener à son bain tant désiré, la lâcher à un endroit assez sûr, puis probablement décamper et se trouver une taverne où passer la fin de la nuit. Peut-être celle où il avait précédemment joué. Quoique, avait-il vraiment envie de retomber sur la bande de corsaires complètement ivres ? Probablement pas.

Enfin, tant qu'elle le laissait s'échapper sans se plaindre davantage, tout irait pour le mieux. Et puis dorénavant, il se tiendrait loin des pirates. Bonne idée, ça.

-Allez ! Pleines voiles vers un bain!

Toujours en proie à ses réflexions, il la laissa s'avancer sans lui, soupira légèrement quand elle revint, l'air assez peu stable.

-La terre est plus houleuse que l’océan ici, mieux vaux s’attacher au mât. Cap vers le bain ! Allez, allez.

- Un mât, répéta-t-il, l'air circonspect.

Il n'ajouta cependant rien et, la soutenant, suivit ses directives vers ledit bain, qui se révéla être une fontaine. Y songeant, il dût admettre que lui-même n'aurait pas refusé un bain. Un vrai. Pas une trempette dans de l'eau froide. Et après ça se plaint de sa gourde, hein.

Enfin, il pouvait s'en contenter pour s'en rafraîchir au moins le visage. Lui-même devait plus ou moins sentir la transpiration, et il était sûr que l'odeur d'alcool et de vomi s'était accroché à ses habits et ses cheveux.

Il laissa la pirate contre le rebord de la fontaine et, recueillant de l'eau entre ses mains, s'en aspergea le visage et les cheveux. Froid, mais agréable. Il se sentait lui-même mieux, à présent.

Et avec un peu de chance, la pirate ne se noierait pas.

L'eau pure gouttait peut à peu le long de ses mèches noires, roulant ensuite dans le creux de ses épaules, puis de ses clavicules pour enfin disparaître sous sa chemise et humecter les bandes de tissus qui aplatissaient ses seins. Un frisson parcourut son dos, provoqué d'abord par l'onde froide, pour s'achever sur l'amer rappel de sa poitrine, plus honnie à chaque jour passant.

Si les bandes camouflaient aisément les légèrement rondeurs originelles de son torse, elles ne pouvaient effacer l'existence de ces dernières, et, immanquablement, se faisaient douloureuse vers la fin de la journée.

Il aurait donné pas mal pour pouvoir se dévêtir entièrement pour plonger dans l'eau, et laisser le froid soulager sa peau et sa chair endolorie. Mais il était encore là, coincé avec cette pirate de malheur dans une ville d'obscurité.

Songeur, il passa les mains dans ses cheveux humides, les essora un peu, faisant glisser ses doigts sur leur longueur. Bientôt, il devrait les couper à nouveau. Peut-être plus court qu'avant, cette fois. Peut-être qu'il ne laisserait que quelques petits centimètres. Peut-être, peut-être.

Parlant de bain, la capitaine ne s'était pas encore noyée toute seule dans la fontaine, ce qui était indéniablement un point positif. Le point négatif, c'était qu'elle se déshabillait – ce qui, somme toute, semblait logique, on prend rarement un bain habillé, mais... est-ce qu'elle allait vraiment retirer tous ses vêtements ?

D'abord septique, puis plein d'appréhension, il a regarda ôter tricorne, ceinture – notant au passage que ses foutues armes s'éloignaient enfin de ses mains trop habiles – puis manteau.

Il envisagea sérieusement à la stopper dans son entreprise, la voyant défaire sa chemise, mais, tous les dieux de ce foutu univers soient loués, elle ne retira pas le dernier bout de tissu séparant sa poitrine du reste du monde. Ouf.

Pas qu'il soit pudique. Bon, certes, un peu. Beaucoup. Il avait du mal avec son corps, déjà, et puis... La dernière personne qu'il avait vu dévêtue, ce devait être... Son frère, peut-être, quand, jeunes et écrasés par la chaleur de Sipheaï, ils couraient partout dans leur maison familiale, nus comme des vers et agaçant leurs parents ?

Ou peut-être était-ce cette belle musicienne qui lui avait enseigné son art, et qu'il avait déjà accompagné aux thermes, à la fin d'une journée particulièrement lourde et épuisante. Mais il était alors encore jeune et, bien que mis mal à l'aise par la nudité de la dame tant idolâtrée, il avait su survivre à cette épreuve.

Mais là, non, définitivement, il ne voulait pas voir la pirate à poil. Fort heureusement, comme dit plus tôt, cela ne semblait pas être son objectif.

Il cacha un discret soupir de soulagement, attrapant quand même au vol un de ses marmonnements.

-C’est joli mais ça sert à rien ces trucs..

- Je ne vous le fait pas dire, répondit-il distraitement, accordant une autre pensée à sa propre poitrine – qui semblait tout de même moins imposant que celle de la pirate.

Il s'assit sur le rebord de la fontaine, retira ses bottes avec plus d'élégance que la corsaire et, remontant les jambes de son pantalon, fit tremper avec un sourire de bien-être ses pieds dans l'eau troublée par les jets.

Sans accorder plus d'attention aux gesticulations désordonnées de l'autre, il profita du léger calme, ainsi que de la disparition plus ou moins complète de l'odeur de vomi. Penser à son frère et son maître musicienne faisait remonter des souvenirs liés à sa ville natale. L'odeur du sable imprégné de chaleur, les pavés qui brûlaient ses pieds, l'éclat aveuglant du soleil sur les murs, au plus chaud de la journée...

Il était parti depuis combien de temps, déjà ? Il ne saurait dire. Est-ce qu'il manquait à ses parents,
à la musicienne ? Est-ce que son frère, parti bien avant lui, se souvenait de son existence ? Et où était-il, ce frère ?
Peut-être qu'un jour il repartirait voir ses parents. Ils seraient sans doute heureux de le voir. Ou alors, trop de temps ce serait écoulé. Trop de changements.

En attendant, il a bien à faire, avec cette pirate qui s'était mise à chanter. Quelle idée. Une chanson sur des marins condamnés à mort. Jolie chanson, il devait l'admettre. Il apprécia le rythme, les paroles simples. Il penserait à essayer de la jouer, plus tard...

Long John Silver. Le nom lui dit quelque chose. Battant mollement des pieds dans l'eau, il tenta de s'en souvenir, sans noter que la pirate s'était rapidement arrêtée, sans finir la chanson. Où avait-il entendu ce nom ? C'était un truc de pirates, assurément. Peut-être dans une autre chanson, ou une histoire. Bon sang, il devrait vraiment parler plus souvent aux autres bardes et conteurs, il prenait vraiment un retard considérable dans les nouveaux chants et nouvelles à narrer.

Long John Silver. N'était-ce pas le nom d'un capitaine pirate assez craint ? Oui, c'est ça. Enfin, presque. Parce qu'à force de fouiller sa mémoire, il parvint peu à peu à faire coïncider le nom au joli visage de la pirate bien trop dévêtue pour sa pudeur.

Tiens donc. Long John Silver serait une femme, alors ? C'était intéressant à savoir, ça. Il était sûr qu'il pouvait retrouver son prénom. Ou pas, d'ailleurs.

En même temps que la pirate parlait à nouveau, il se souvint brusquement des rumeurs et histoires courant sur la pirate. Elle n'était pas seulement capitaine, mais Seigneur Corsaire, non ? Quelque chose de cet ordre.

Oh.

Comment faisait-il pour atterrir dans de telles situations, lui ?

-Cal ?

- Vous êtes une Seigneur Pirate ? interrogea-t-il au même moment, la surprise le disputant à l'appréhension dans sa voix.

Il se reprit cependant assez vite.

- Euh, je veux dire, oui ? Il y a un problème ?

Se faisant, il la regarda, et rougit à nouveau. Il avait la méchante impression d'avoir à nouveau quinze ans, à s'émouvoir ainsi de la nudité de quelqu'un. Pas sa faute si la pirate était belle, quand même.

-Pas vraiment un problème. Une question.

Allons bon. Quelle question pouvait-elle bien vouloir lui poser ? « Est-ce que je suis totalement désirable ? » « Vomir parce qu'on a trop bu fait-il vraiment de nous quelqu'un d'admirable ? » « Tu pourrais me passer mes habits ? »

Je divague. Arrête de divaguer.

Trop de fatigue, d'émotions contradictoires et de femmes pirates quasiment nues.

Même sans avoir reçu de réponse à sa question lancée au hasard, le barde se permit d'être sûr de son identité. Il est donc face à Long John Silver, présume-t-il, et ce n'est vraiment pas rassurant. Les pirates ne sont pas rassurants, et ceux avec un passif de terreur des mers, encore moins. Mais bon, si elle avait voulu le tuer, le torturer ou n'importe qu'elle autre fantaisie, elle s'y serait déjà mise avec application, non ? Donc, il n'avait rien à craindre.

Normalement.

Ladite Long John Silver – diable que ce nom était long, elle n'avait pas un prénom, plutôt ? Comme ça, il pourrait l'écorcher comme elle écorchait le sien – s'approchait de lui, et il espéra fortement qu'elle ne voyait pas, dans la semi obscurité, ses joues se teinter d'autant plus.

Toujours assis, il leva le visage vers elle, un peu hésitant.

-Hum.. Est-ce que je fais peur ? Bien sûr les pirates font peur et mon nom s’accompagne de beaucoup de choses horribles. Mais moi, est-ce que je t’effraie vraiment?

… Quoi ?

Attendez. Quoi ?

Il resta bouche ouverte, l'air assez stupide probablement, durant quelques secondes, essayant de refaire fonctionner son cerveau. La scène était irréaliste, et assez gênant. Une capitaine pirate - qui confirmait indirectement ses suspicions quant à son identité -, qui semblait redoutée, qui l'avait payé pour chanter avant de lui vomir presque dessus, était en train de lui demande si elle l'effrayait.

Cela n'avait aucun sens, et, sauf si elle posait cette question dans l'unique but de se moquer, assez... touchant ? En un sens.

Bon sang, il avait encore eu moins à gérer les crises sentimentales de ses contemporains que leur nudité. Qu'est-ce qu'il était censé faire, au juste ? Comment on réconforte quelqu'un ? Comment on réconforte une foutue pirate ?

- Je...

Trouver une réponse. Avec du sens. Si possible. C'est possible, au moins ?

Il se força à sourire, à adopter un ton insouciant.

- Eh bien, si vous n'aviez pas décidé de vouloir me faire la peau, tout à l'heure, j'aurais probablement pas eu peur de vous du tout. C'est juste que, bon, vous comprenez, je suis juste un musicien, moi. Je sais pas me battre. Dans le doute, je cours. C'est lâche, mais je suis encore en vie pour l'être.

Il baissa les yeux sur l'onde sombre, continuant à taper des pieds pour tromper son embarras, éclaboussant un peu leurs mollets.

- Après, faut admettre que vous êtes pas très effrayante après avoir vomis partout, donc y a pas de raison de s'inquiéter je suppose... Tant que vous ne pointez vos armes sur personne.

Il espérait que cette réponse conviendrait, parce que là, il n'avait vraiment, vraiment aucune idée.

Oh mais non, pas encore.

Pourquoi cette foutue pirate se sentait obliger de le malmener comme ça, hein ? Ca lui apprendrait, à être gentil et honnête. Non pas qu'il ne l'aurait pas été. Elle aurait pu mal prendre de se faire rembarrer.

Et vu son degré de lunatisme, il n'avait pas trop envie de s'y risquer.

Parce que du coup, il avait son visage tout près du sien, ce qui lui inspirait des sentiments contradictoires – elle était belle, vraiment, mais qu'est-ce qu'elle faisait peur, aussi, vraiment – et également son col dans sa main, ce qui n'était pas très confortable, vu que sa gorge était alors un peu comprimée.

Peut-être qu'il aurait dû la laisser ivre et seule dans sa ruelle, finalement.

-Un galant homme serait bien avisé d’oublier ce genre de détail.

Il ne pipa mot, s'accrochant à son instinct de survie. Il ne parvenait pas à la comprendre, à la cerner, à déterminer si elle représentait oui ou non un danger pour sa vie et son intégrité physique et morale en général.

N'empêche. Personne ne lui avait dit qu'il devait être galant. Est-ce qu'elle aurait réagi de la même façon, si elle l'avait pris pour une femme ?

Est-ce qu'une femme peut dire à une autre qu'elle a vomit et que par conséquent, elle n'est pas du tout effrayante ?

Hm. Cette question n'avait aucun intérêt.

-Surtout quand il a un joli minois à conserver, n’est-ce pas ?

Bon, d'accord, il recommençait à flipper. Mais il n'allait pas s'amuser à s'enfuir à nouveau ; déjà, parce que la fontaine se trouvait sur une place, et qu'il lui faudrait un certain temps pour atteindre une ruelle et s'y cacher, hors d'atteinte de balles perdues, ensuite parce qu'elle semblait en bien meilleure forme. Et même si elle était quasiment nue, rien ne disait qu'elle n'allait pas tenter de le poursuivre.

… Ce serait cocasse, comme spectacle, mais il n'était pas trop tenté par l'idée d'y  jouer comme acteur principal.

-T’es un demi-elfe?

Fatiguante. En plus d'être incompréhensible et stressante, cette pirate le fatiguait. Est-ce qu'elle allait arrêter un jour de sauter d'un sujet à un autre, de le menacer pour ensuite vomir ?... Ah, c'est vrai, il ne devait pas en parler. Haha.

- … Non. Du tout. Je suis complètement humain. Mais, hm, pourquoi ?

Il gigota légèrement, tentant de s'éloigner d'elle, franchement peu à l'aise, encore une fois.

Au secours.

Il n'a que cette idée en tête. Non contente de l'avoir à nouveau fait flipper comme s'il avait cinq ans et peur du noir, voilà qu'elle se mettait à lui caresser la joue. Juste. Pourquoi. Que quelqu'un le sauve. N'importe qui. Même de l'alcool. Il était même prêt à la faire boire à nouveau, la revoir vomir et la remettre faire trempette dans une fontaine.

Il ne savait plus s'il avait chaud de part leur proximité indésirée, s'il était mal à l'aise, effrayé ou tout ça à la fois.

Soit beaucoup trop pour un seul petit corps frêle de même-pas-un-vrai-homme.

Et comme si cela ne suffisait pas, elle s'asseyait sur ses genoux, à présent. Il adressa dans le même temps une prière et une malédiction à tous les dieux dont il arrivait à se souvenir du nom à ce moment-là, soit pas beaucoup.

C'était très compliqué, comme situation. D'un côté il avait toutes ses hormones en roues libres, d'autant plus déchaînées que même s'il n'était pas plus intéressé que ça normalement par les jolies damoiselles et damoiseaux, cela faisait un sacré moment qu'il n'avait pas eu un contact aussi, disons, intime avec quelqu'un d'autre. Et cela ne lui avait pas manqué. Jusqu'à présent.

Foutues hormones.

De l'autre côté, force était d'admettre que derrière l'image de garçon très, très peu viril – malgré ses réels 26 ans, il aurait été aisé de lui donner à peine la vingtaine, tant il était frêle et imberbe – il ne restait, au final, que le corps d'une femme, avec ses formes et le bazar qui va avec. Et même s'il ne doutait pas du potentiel de la pirate de les apprécier, eh bien, cela demeurait assez inconfortable, comme situation.

Il s'infligea une claque mentale. Comme s'il envisageait de relationner de quelque sorte que ce soit avec elle. Elle. Une pirate qui s'amusait tantôt à l'effrayer, tantôt à... à... l'allumer ? Sans doute. Ses rares relations sexuelles s'étaient passées avec des personnes de classe moyenne, parfois bourgeoises. Propres. Saines d'esprit. Pas dangereuses. Et dont le passe-temps préféré ne consistait pas en persécuter un pauvre barde.

Parlant de bazar qui manque, il commençait à craindre un peu qu'elle ne découvre le léger renflement au niveau de son torse, ou son absence au niveau de... de... Bah, plus bas, quoi. Comment elle réagira, quand elle comprendra qu'il n'est pas tout à fait un homme ?

Est-ce qu'elle va encore le menacer ?

-Pourquoi ne le demanderai-je pas ? Je n’ai pas l’habitude des hommes dans ton genre. Tu auras vu ceux que je côtoie. Si certains peuvent se vanter d’être poètes, ou de savoir jouer de l’instrument, peu ont le mérite d’un beau visage, d’une fine silhouette… peu sont aussi élégants que toi. Aussi beau si j’osais dire.

Il rougit encore, si seulement c'était possible. Elle le trouvait beau, ce qui était flatteur, vu la beauté qu'elle était. Après, ce n'était pas forcément rassurant. Du tout.

Pour ne rien arranger, la pirate était en train de se servir de lui comme d'un paillasson, et il sentait ses vêtements s'humidifier de plus en plus. Comme s'il n'avait que ça à faire que de les sécher. Saloperie.

Et il devenait grossier, pour ne rien gâcher.

Il ne savait plus quoi faire de ses mains, qui restaient accrochées au muret de la fontaine pour ne pas le laisser tomber en arrière, de ses yeux, qui soit tombaient sur son visage définitivement toujours trop proche, soit sur sa foutue opulente poitrine, et de son corps en général, bien trop près du sien, et dont la chaleur montante compensait assez bien la fraîcheur de l'eau qu'elle lui envoyait sur les fringues.

-Beau et timide avec ça. D’autres auraient déjà profité de mon état d’ébriétés et je n’en connais aucun qui m’aurait laissé faire trempette dans cette fontaine sans vouloir me prendre séance tenante. Même devant mon équipage, qui sait fort bien ce qui l’attend s’il pose la main sur moi, je n’aurais pas risquer cela.

En même temps, songea-t-il, il ne ressemblait pas vraiment à une montagne de muscles. On a rarement peur des petits minables taillés comme des baguettes dans son genre.

-Et toi, qui appartient à ceux qui chante l’amour aussi bien qu’ils sont réputé pour le pratiquer, tu n’as rien tenté. Remettrais-tu en doute mes charmes?

- Alors quant aux pratiques, faut pas trop s'y fier, lâcha-t-il en butant légèrement sur les mots, et sans garder plus aucune cohérence dans ses propos. Y en a un, une fois, j'ai essayé, ben je vous jure, il ferait mieux de se contenter de chanter, c'est bien la seule chose qu'il sait faire de sa bou... Oubliez, en fait.

Voilà que sous la nervosité, il commençait à raconter sa vie.

- Quant à vos charmes je, euh, je ne... remets rien en cause... Je suis juste, disons, respectueux ?

Sa phrase s'acheva dans un bruit étrange frôlant le gémissement de supplication. Du genre, pitié, laissez-moi partir.

Et, en plus d'être respectueux, il était doté d'une incroyable absence de force, ainsi que d'un corps assez inapproprié, et, notamment, il n'oubliait pas que si un homme l'identifiait comme femme, il s'exposait lui aussi à ce genre de... déconvenues. Alors les faire subir à d'autres, hm, non merci.

Qu'est-ce qu'il disait, déjà, au début ? Ah, oui.

Au secours.